Revue de presse

Juliane_Lorenz_

Foto: Elfi Mikesch / © RWFF

Entretien avec la présidente de la Rainer Werner Fassbinder Foundation, Berlin: Juliane Maria Lorenz

Dans un entretien avec le Deutsches Filmmuseum Juliane Maria Lorenz, qui fut la monteuse de 14 films de Fassbinder et qui avait vécu avec lui pendant de nombreuses années, parle de son travail avec Rainer Werner Fassbinder, mais également de la culture cinématographique, des défis de la numérisation et de la restauration, ainsi que du travail de la RWFF.

Deutsches Filmmuseum (DFM): Madame Lorenz, vous venez de passer trois semaines à New York, au Museum of Modern Art (MoMA), avec lequel vous, en tant que présidente de la  Rainer Werner Fassbinder Foundation, Berlin (RWFF), préparez la restauration de la télésérie en cinq épisodes produite par la WDR, HUIT HEURES NE FONT PAS UN JOUR (RFA 1972, réal: Rainer Werner Fassbinder). Certes, il y a maintenant chez nous le programme de soutien Filmerbe Content où les producteurs de films allemands peuvent doposer des dossiers depuis 2013. Mais par rapport à ce classique en cinq épisodes, produit pour la télévision dont les droits appartiennent à la RWFF, il y aura probablement encore des obstacles à franchir. C’est quand même fou que le MoMA New York prenne en charge une partie des coûts de la restauration d’un téléfilm financé dans les années 70 par la WDR qui parle du milieu ouvrier dans la Ruhr.

Lorenz: C’est parce qu’on a toujours peur de sa propre puissance, pour le formuler de manière positive. En Allemagne, beaucoup de personnes le prennent pour un fou, seulement à cause de sa productivité. Les américains sont tout le contraire: ils adorent les génies. Je ne veux pas dire par là qu’il était un génie, Rainer n’aurait jamais dit ça de lui-même. Mais il était incroyablement travailleur, et il avait du charisme et il s’était entouré des bonnes personnes, des jeunes gens extrêmement doués. En plus, il était incroyablement bien organisé. Ça, on le voit dans ses films. Il était énormement structuré. Et j’ai certainement appris ça de lui pour mon travail de monteuse.

DFM: Vous aviez 19 ans lorsque vous avez rencontré Fassbinder. Comment ça s’est fait que vous ayez par la suite fait le montage de 14 de ses films?

Lorenz: Je me suis retrouvée là-dedans par hasard. Je voulais devenir réalisatrice, ou auteure. Lui il a dit: tu vas le faire, là maintenant. Pour  DESPAIR, il m’a jetée dans le grand bain, et j’ai dû apprendre à nager. Il était assez insidieux quand il donnait des missions à quelqu’un: très souvent, il testait à quel point il pouvait aller loin, combien de pression il pouvait mettre sur une personne. Évidemment, il n’a pas fait cela avec Hanna Schygulla, et non plus avec Peter Märthesheimer, mais avec Irm Hermann, il l’a poussé à l’extrême. Avec moi, il l’a essayé. Pour LOLA (RFA 1981), il m’avait demandé tout d’un coup de me charger également de la production. Et là, je me suis défendue.

DFM: Il avait donc besoin de résistance?

Lorenz: Oui, et comment! Irm avait certainement une énorme capacité de souffrance, mais elle aussi s’est défendue, elle a crié, elle a pleuré, elle a menacé de se tuer. Et a grimpé sur la banquette. Je suis sûre qu’elle ne voulait pas vraiment sauter. Lui il a seulement dit très calement: “Vas-y, saute!” Or, plus tard il m’a dit: “S’il y a une personne qui a le droit de se plaindre c’est Irm.” Il ne supportait pas les gens qui aimaient se soumettre à lui. Pour lui, la question était encore et encore: “à quel point puis-je aller loin?” Je crois que ça montre une certaine faiblesse de caractère. Car il pouvait aller trop loin avec ça.

DFM: Est-ce que cela vous est déjà arrivé à vous aussi?

Lorenz: Non pas à ce point-là, mais quand on faisait LILI MARLEEN (RFA 1980), je me sentais d’abord complètement débordée et j’étais prise de panique. Le 2 août 1980, je terminais le mixage du dernier épisode de BERLIN ALEXANDERPLATZ, mais dans la salle de montage d’à côté s’emplilaient déjà les  rouleaux de LILI MARLEEN. J’avais 23 ans, j’étais toute seule avec une assistante, et je ne me sentais pas du tout à la hauteur. Et là, il m’a dit: “Xaver (Schwarzenberger) a dit aussi que c’est peut-être trop pour toi.” Fassbinder – c’était une machine super bien entretenue qui n’arrêtait jamais de tourner. Normalement, je ne trouvais pas ça si grave que ça. Mais après ce film j’avais besoin d’une pause, et je me suis cassée. Lorsque je suis revenue au bout de dix jours, j’étais capable de monter le film – comme en transe. Et là, il a dit: “Alors, tu as compris.” Si je n’avais pas eu encore beaucoup d’autres mentors, comme par exemple le formidable ingénieur de son Milan Bor, ça ne se serait pas passé aussi bien à l’époque.

DFM: Quelles étaient vos consignes pour le montage?

Lorenz: Il n’y a jamais eu de consignes. Il y avait un scénario. Et j’avais l’habitude de ses prises de vue. Car je savais comment il aimait le montage. Il avait aussi une attitude particulière par rapport à la profession du directeur de montage. “Le monteur est un artiste à part entière”, disait-il toujours. “Mais c’est le réalisateur qui donne les indications, et le monteur n’a qu’à les trouver.” Je paniquais souvent: ‘Vais-je y arriver? En suis-je capable?’ En même temps, j’ai abordé les choses avec une grande naïveté qui rendait tout facile.

DFM: Il n’était aucunement indifférent au succès. Est-ce qu’il voulait que beaucoup de monde voie ses films?

Lorenz: Il ne s’est pas creusé la tête par rapport à cela. Il était à la fois fasciné par la perfection des films américais, et enthousiaste du cinéma français, des réalisateurs comme Jean-Luc Godard: c’est ainsi qu’il voulait être. Il ne projetait pas autre autre chose. „Je veux être bon. Commençons comme ça.“ C’était ça l’objectif. A quoi se rajoutait son incroyable volonté de conceptualiser les choses. D’arriver à cette forme particulière de distanciation.

DFM: Comme vous parlez de sa volonté de concptualiser les choses: même plus de 30 ans après sa mort, des artistes actuels nomment Fassbinder comme point de référence. Comme par exemple Ming Wong dont les oeuvres seront présentées dans notre exposition…

Lorenz: Oui bien sûr, les artistes vont voir le travail d’autres artistes. Fassbinder est très connu en Chine. Martin Scorsese aussi a étudié l’oeuvre de Fassbinder, tout comme Marina Abramović ou Cindy Sherman et Todd Haynes, il voulait que je lui explique comment Fassbinder travaillait. C’est pour cela que je suis convaincue: Fassbinder continuera à être cool. Ming Wong a travaillé sur Fassbinder parce qu’il voulait apprendre l’allemand. Et il le fait avec les films TOUS LES AUTRES S’APPELLENT ALI (RFA 1973) et LES LARMES AMÈRES DE PETRA VON KANT (RFA 1972), parce qu’on les connaît en Chine. Et ça c’est le moment pour mentionner le Goethe-Institut qui a toujours présenté les films de Fassbinder à l’étranger, dès le début.

DFM: Il est aussi intéressant d’apprendre que l’artiste performeur Rirkrit Tiravanija ait utilisé le titre „Angst essen Seele auf“ (titre original de TOUS LES AUTRES S’APPELLENT ALI) pour la première fois en 1994 – deux ans après la grande rétrospective à Berlin. Selon nos recherches, il a été le premier artiste en dehors du cinéma qui faisait directement référence à Fassbinder. En 1998, donc un an après la rétrospective au MoMA à New York, c’étaient plusieurs vidéastes en une seule année.

Lorenz: Oui, bien sûr. C’est lié. Le Goethe-Institut américain a contribué à rendre possible que la rétrospective Fassbinder tourne par la suite dans 50 villes aux États-Unis.

DFM: Quel est le leitmotif de votre travail au sein de la RWFF?
Lorenz: Sauvegarder et conserver. Faire comprendre aux gens ce qui est la culture cinématographique. C’est ça qui m’importe.

L’entretien avec Juliane Maria Lorenz a été réalisé par Anna Fricke, Hans-Peter Reichmann et Frauke Haß pour le Deutsches Filmmuseum.

 

Revue de presse

FAZ.net, 05.05.2015, « Rainer Werner Fassbinder. Luftdicht in Vitrinen » von Peter Körte

TAGESSPIEGEL.de, 06.05.2015, « Rainer Werner Fassbinder zum 70. Geburtstag. Gehasst und Geliebt. » von Christiane Peitz

 

retour